Comment Aristote s’organise pour être vertueux ?
J’ai commencé à lire Comment être parfait de Michael Schur (créateur de l’excellente série The Good Place, que je recommande à tous ! et surtout évitez les spoilers !) et dès le premier chapitre, qui décrit l’éthique de la vertu d'Aristote, je tombe sur des mots comme “objectifs”, “inventaire” et “flexibilité”.
Je me suis dit “coquin de sort ! ne serait-il pas possible d'appliquer les 5 étapes de l’organisation à la philosophie morale ?!”
Eh bien essayons ! Je vais essayer de garder cet article court, il ne s’agit pas de faire une présentation complète de la philosophie d’Aristote, mais plutôt d’un exercice de pensé pour voir si j’arrive à calquer ma théorie des 5 étapes sur ce que j’ai lu dans le livre de Michael Schur.
Note : pour cet article, j'expérimente les images générées par IA, on va voir ce que ça donne…
Objectif et intention
Au début du chapitre Michael Schur énonce les éléments qu’Aristote doit expliquer pour définir ce qu’est une bonne personne :
Les qualités que doit avoir une bonne personne
Dans quelle mesure il faut en être doté
Si tout le monde a les capacités pour ces qualités
Comment les acquérir
Comment nous nous sentirons lorsque nous les posséderons
Comme on parle d’Aristote, commençons par utiliser quelques mots grecs pour faire classe. Selon la philosophie d’Aristote, le telos, le but, est d’atteindre le bonheur. En effet, le bonheur est tout en haut des choses que l’on désire car il n’a pas d’autre but que lui-même. Contrairement à l’argent, la santé ou l’amitié par exemple, qu’on cherche à acquérir pour atteindre ce dit bonheur.
Pour être plus précis, le véritable but serait d’atteindre l’eudaimonia qui est plutôt traduit par “épanouissement”. Il s’agit de la réalisation de notre potentiel personnel.
Ce serait le but ultime des humains, une personne épanouie étant bien plus accomplie qu’une personne simplement heureuse. L’épanouissement se traduit par le sentiment de complétude qui nous traverse quand on s’accomplit sur tous les aspects qui font de nous des êtres humains. Il s’agit de plus que le simple plaisir.
Par exemple, quand je mange de la pizza je suis heureux mais pas forcément épanoui. Par contre je peux dire que je suis épanoui quand j’aide un ou une des mes élèves ou participante à apprendre quelque chose ou à résoudre un défi personnel.
Et comment on fait pour s’accomplir ? Eh ben il faut acquérir des vertus de caractère, et ce dans les justes mesures et proportions.
Ah ouai, et c’est quoi une vertu ? Eh ben toute vertue, pour la chose dont elle est la vertue, a pour effet à la fois de mettre cette chose en bon état et de lui permettre de bien accomplir son œuvre propre. Voila.
En gros, le but d’un couteau, ce qui fait qu’un couteau est bon, c'est de bien couper. Un couteau est épanoui si il coupe bien.
Les vertus du couteau qui l’accompagneront dans sa quête de l’eudaimonia des couteaux sont d’être : tranchant, résistant, équilibré, etc.
Pareil pour les êtres humains. Le but d’un être humain est d’être épanoui. À nous maintenant de définir les caractéristiques que les humains doivent posséder pour être des gens bons et accomplis.
1) Inventaire
Voilà, pour être une bonne personne il faut des vertus. Mais lesquelles ? Eh bien Aristote nous propose de faire un inventaire de ces vertus. Comment faire cette liste ? On peut commencer par observer les gens qu’on trouve bon et noter les qualités qui nous plaisent chez eux ou elles.
Voici une liste de vertus qui sont évoqués dans le livre de Michael Schur et que j’ai complété avec une rapide recherche sur internet :
Amitié
Amour-propre
Bonté
Courage
Droiture
Empathie
Générosité
Gentillesse
Justice
Loyauté
Magnanimité
Modération
Prudence
Tempérance
On pourrait compléter cette liste avec d’autres vertus qui semblent indispensables dans notre monde aujourd’hui (qui est bien différent de celui d’Aristote), par exemple :
La conscience écologique
La solidarité
L’acceptation des différences
etc.
J’ai cru comprendre qu’Aristote classait les vertus dans deux catégories : les vertus morales et les vertus intellectuelles.
Tout ça répond donc à notre première question habituelle : on veut organiser QUOI ? Réponse : des vertus morales et intellectuelles.
2) Tri et priorité
Voyons maintenant comment répondre à la seconde question : POURQUOI on veut organiser ces vertus ? On l’a dit au début : c’est pour nous épanouir.
Selon Aristote on ne naît pas parfaitement vertueux, il faut acquérir ces vertus tout au long de notre vie.
Par contre on possède tous des “états naturels” des ces vertues, disons des ébauches ou des penchants pour l’une au l’autre. Ces embryons de vertus sont plus ou moins développés en fonction des individus et semblent distribués au hasard à la naissance. On peut le voir comme notre potentiel pour devenir vertueux, et c’est notre boulot de les parfaire tout au long de notre vie.
Sur quoi doit-on se concentrer en priorité ? Il y a deux stratégies :
Identifier les vertus pour lesquelles nous avons un penchant naturel et les développer pour devenir des champions de la justice par exemple ou de la générosité
Identifier les vertus pour lesquelles on semble avoir un déficite et s’affairer à les développer pour étendre notre éventail de vertus
En tout cas Aristote est clair sur ce point, nous avons tous et toutes la capacité d'acquérir toutes ces vertus, même celles pour lesquelles nous avons le moins d’aptitude innées. Autrement dit : notre potentiel ne définit pas entièrement le résultat final. On a notre mot à dire.
Note : après quand je dis “tous”, notre ami Aristote s'adressait surtout aux hommes libres, pas aux au femmes et encore moins aux esclaves… comme à toute époque, il y avait certains progrès à faire niveau éthique.
Et le tri ? Y-t-il des vertus qu’on peut négliger ?
Non. Par contre il y a un truc à éviter, ce sont les excès. En effet, pour chacune des vertus listées ci-dessus, Aristote nous encourage à trouver un juste milieu, ou juste mesure. En effet, pour chaque vertu il existe deux extrêmes :
Une déficience de la qualité
Un excès de la qualité
Pencher vers l’un ou vers l’autre transforme la vertu en vice, ce que nous devons chercher à éviter.
Par exemple :
Un déficit de générosité nous rendrait froid, indifférent et égoïste, ce qui ne sont pas des adjectifs qu’on associe à une bonne personne.
Par contre un excès de générosité nous ferait pencher vers l’extrême inverse, on se mettrait complètement au service des autres en délaissant notre propre personne, ce qui serait au final contre productif car on ne peut pas aider les autres si on ne prend pas soin de soi.
Un autre exemple donné dans le livre : la vertu du devoir (suivre les règles).
Un déficit de cette vertu nous ferait pencher vers l’opposition systématique à toute forme de règle, ce qui rendrait impossible la vie en société.
Mais un excès de ce sens du devoir risque de faire de nous un “bon petit soldat” qui ne remet jamais en cause l’autorité, ce qui peut être l’origine d’abus voir d'atrocité (l’histoire est remplie d’exemples terrifiants)
Résumons où on en est :
On a besoin de quoi ? Des vertus.
Pourquoi ? Pour nous épanouir.
Quelles priorités ? A voir en fonction de notre potentiel naturel pour telle ou telle vertu.
On veut éviter quoi ? Les excès.
Bon ben il reste plus qu’à répondre à la troisième question : COMMENT ? Comment fait-on pour obtenir ces vertus dans leur juste mesure ?
3) Rangement
Pour Aristote, on développe nos vertus de la même façon qu’on développe n’importe quelle compétence : par habitude. On devient vertueux ou vertueuse en faisant des choses vertueuses.
“Ce n’est pas par nature que naissent en nous les vertus, mais par habitude.”
En gros, si on veut avoir plus de courage, il faut faire des choses courageuses.
Si on veut devenir plus empathique, il faut se mettre dans des situations qui vont mettre à l’épreuve notre sens de l’empathie.
Voici un extrait du livre que je recopie tel quel, car je te trouve beau :
“Nos comportements créent des sillons profonds dans nos personnalités, comme un fauteuil imprime des marques dans le tapis sur lequel il est posé, et il devient chaque jour plus dur de s’en échapper.”
Enfin Aristote nous dit qu’il nous faut aussi un professeur qui nous délivrera des leçons sur l’art de s’épanouir. Ici les plus circonspects verront une tentative de Socrate de faire de la pub pour son Académie (et on ne peut pas lui en vouloir, il faut bien gagner son pain. D’ailleurs avec cet article je fais la même chose : venez participer à un des mes ateliers ou réserver une séance de coaching individuel pour apprendre à vous accomplir et à atteindre l’eudaimonia !)
Résumons :
On a besoin de QUOI ? des vertus, dans leurs juste mesure.
POURQUOI ? pour nous épanouir.
COMMENT ? en identifiant nos penchants naturels, et en les développant par habitude et apprentissage.
Super, on sait maintenant ce qu’on a à faire pour être une personne vertueuse. Il reste maintenant deux étapes pour assurer que nos efforts soient pérennes dans le temps, sur le moyen et long terme.
4) et 5) Flexibilité et Entretien
Pour être vertueux, il faut faire des choses vertueuses, appliquer nos connaissances dans des situations diverses, nouvelles et inattendues. Il y a cependant une question importante qui vous est peut-être venue à l’esprit : comment définir ce juste milieu vertueux ? Comment savoir où commence l'excès ou la déficience ?
Comment être généreux mais pas trop ? Courageux sans être inconscient ? Assez bon sans être trop con ?
Autrement dit, comment définir le juste comportement dans des situations inédites ? Comment faire preuve de flexibilité ?
C’est en prenant le temps de réfléchir à ce que nous faisons, en examinant nos actions et celles des autres, que nous finirons par comprendre ce qui est trop ou trop peu, la juste mesure. À force de pratique nous parlerons couramment cette vertu. Nos réactions émergent alors d’un profond réservoir de connaissances et d’expériences. Au lieu de rester coincé dans l'ornière définie par nos précédents comportements, nous avons assez de bonnes habitudes pour prendre la bonne décision, aussi inhabituelle que soit la situation. Nous voulons la reconnaître quand nous la voyons. Et nous la reconnaîtrons si nous la cherchons toujours.
Nous ne trouverons la juste mesure qu’en pratiquant l’art de l’identifier, par une succession d’essais et d’erreurs et en évaluant chaque fois nos essais et nos erreurs. C'est-à-dire en faisant un ENTRETIEN.
Je m’arrête là parce que je voulais écrire un article court. Si vous voulez explorer le sujet, je recommande la série The Good Place (ne vous faites pas spoiler !) et le bouquin de Michael Schur ou alors un autre livre super : L'influence de l'odeur des croissants chauds sur la bonté humaine de Ruwen Ogien.
Pour conclure, voici un tableau qui résume ce que j’ai compris de l’éthique de vertue d’Aristote, sous le prisme des 5 étapes de l’organisation.
Comment Aristote s’organise pour être une personne vertueuse
1) Inventaire |
Liste : faire une liste de vertus en observant des gens qu’on trouve admirables Catégories : vertus morales et vertus intellectuelles |
2) Tri et priorité |
Éliminer : les excès Priorité : à définir en fonction de nos qualités naturelles |
3) Rangement |
Espace et emplacements : chaque jour et pendant toute la vie Logique : développer l'habitude de faire de bonnes choses pour devenir bon et rechercher l’apprentissage des sages Index : faire un point régulier sur nos vertus et leur équilibre, par nous même ou avec un ou une sage qui pourra nous guider |
4) Flexibilité |
Nouveauté : puiser dans le catalogue de nos expériences passées pour savoir comment réagir dans des situations nouvelles Imprévus : puiser dans le catalogue de nos expériences passées pour savoir comment réagir dans des situations imprévus Zone Tampon : trouver un moyen de compiler les expériences nouvelles pour les analyser plus tard à tête reposée, dans un journal par exemple |
5) Entretien |
Fréquence pour la zone tampon : évaluer nos réactions et les nouvelles expériences tous les soir Fréquence pour le système complet : faire un point régulier sur le développement de nos vertus et définir de nouveaux objectifs, une fois par an par exemple, pour devenir une personne épanouie dans le sens Aristotélicien du terme |