Chapitre 11 – A Table !

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– Debout là dedans ! Le petit-déjeuner est prêt !
Emma été entrée la chambre d’amis, dans laquelle Sayowa avait passée la nuit. Elle semblait bien énergique de bon matin.
– Et après, départ pour la maison de l’Italien.
Elle fit demi-tour et s’éloigna. Sayowa l’entendit continuer de parler, alors qu’elle descendait les escaliers : « Quelle histoire quand même, tout ce chemin pour trouver le vieux Stefano Limoni. »
Sayowa s’étira les bras, bailla longuement. Voilà longtemps qu’elle n’avait pas aussi bien dormi. Ce lit était doux, confortable, comme un nuage. Une bonne odeur de fleurs fraîchement coupées l’accueillit comme elle finissait de se réveiller. Un rideau épais obscurcissait la pièce, un joli bouquet coloré dépassait d’un vase posé sur la table de nuit. Il n’était pas là quand elle s’était couchée.
Elle s’assit sur le bord du lit et enfila ses vêtements. Ils avaient étés lavés la veille et avaient séchés tout l’après-midi. Ils étaient aussi doux que les draps qui l’avaient enveloppés pendent son sommeil et sentaient aussi bon que les fleurs qui l’avaient réveillé.
Elle sortit de la chambre, se rendit au rez-de-chaussée, où la table avait été couverte d’assiettes, de paniers et de carafes : deux types de pain différents, des confitures de toutes les couleurs, du beurre, des jus de fruits, du café, du thé, des pommes, des bananes. Sayowa ne savait pas par où commencer.
Coupant court à ses délibérations, Emma apparut tenant une poêle ayant servi à faire frire quatre œufs.
– Allez, prends des forces. Tu n’as presque rien avalé depuis quatre jours.
Sayowa s’assit et se servit. Le parfum du café l’avait mise en appétit dès son arrivée dans le salon. Elle remplit son assiette, sa bouche, et enfin son estomac.
Elle conclut le repas en glissant le long de sa chaise, tenant son ventre des deux mains.
– Tu manges ça tous les matins ? Comment tu fais pour pas être grosse ?
– Non, ça c’est la sélection pour les invités d’honneur. Tu as fini ?
– Même si je voulais manger plus, je pense que ce serait physiquement impossible.
– Bien, je ne voudrais pas que le signore Stefano dise que je ne nourris pas la petite fille de son meilleur ami. Je vais chercher Oli qui va te conduire.
Emma sortit de la maison, Sayowa resta seule devant les vestiges de son repas. Oli la conduire ? Cela voulait donc dire qu’il était plus âgé que ce qu’il ne paraissait.
Elle allait voir Stefano. Elle était allée de Livingstone à Cape Town, par ses propres moyens et elle allait enfin atteindre son but, après l’avoir presque abandonné. Était-ce la leçon qu’il fallait retenir de ce voyage ? Que c’est en faisant ce qu’on voulait qu’on atteignait ses objectifs ? Ou était-ce juste un coup de chance. Surtout qu’elle n’avait pas encore complété sa mission. Ce Stefano, elle y croirait quand elle le verrait. Elle se souvenait de sa déception à Swakopmund.
La porte d’entrée s’ouvrit sur Emma qui lui fit signe de la rejoindre. Sayowa prit son chitenge au passage, maintenant bien rempli, et sortit de la belle maison.
La petite voiture violette attendait dans la cour, Oli au volant. Sayowa s’installa sur le siège passager, Emma se pencha à la fenêtre.
– Prends soin de toi Sayowa. Et s’il t’arrive quoi que ce soit, il y aura toujours de la place pour toi ici.
– Merci Emma, je reviendrais te voir un jour.
– Oli, attention sur la route hein ?
– Oui ma’Emma.
Il démarra, prit l’allée cabossée jusqu’au au portail, puis la route.


Oli portait un t-shirt violet et un short blanc dans lesquels flottaient ses bras et ses jambes filiformes. Sayowa ne savait pas trop quoi lui dire, le sachant peu loquace. Ils roulaient en silence.
Ils s’engagèrent dans une vallée, laissant les collines vertes derrière, se dirigeant vers de grands pics dessinés plus loin devant. Alors qu’ils s’en rapprochaient, les montagnes se dévoilaient dans des proportions que Sayowa n’aurait jamais cru possible. Rien à voir avec les gros cailloux rouges du Damaraland. Ce vers quoi ils roulaient était une collection de géants, dont les sommets flirtaient avec les nuages.
Pour le moment, ils progressaient toujours dans une région assez plane. Bientôt, ils longèrent ce qui semblait être un village, mais sans vrais maisons, seulement des abris en tôles de zinc. Comme ils continuaient, ce village s’avéra être une véritable agglomération.
– C’est le township duquel je viens, dit Oli. Le deuxième plus grand d’Afrique du Sud.
– Oh, ça a l’air bien, dit Sayowa poliment.
– Non, ce n’est pas très bien. C’est Emma qui m’a trouvé et qui m’a sortit de là. La vie est difficile là dedans.
– Oh désolé.
– C’est pas grave, tu savais pas.
Le township, elle le vit en l’observant plus attentivement, fourmillait de vie. La population semblait y être importante, agglutinée dans des rues désordonnées. Oli accéléra, pour vite laisser le bidonville derrière.
Ils se rapprochèrent de la mer. En fouillant dans ses connaissances géographiques, Sayowa conjectura qu’il s’agissait soit de l’océan Atlantique, soit de l’océan Indien.
– Oli, c’est quoi la mer là déjà ?
– C’est l’océan.
– Oui mais Atlantique ou Indien ?
Il haussa les épaules sans quitter la route du regard.
Comme ils côtoyaient l’étendue bleue profond, le relief se développait à leur droite, le fossé à leur gauche. Ils arrivaient dans les montagnes. La route serpentait le long du littoral, la falaise devenait vertigineuse. Sayowa ne put s’empêcher de penser qu’une chute ici leur serait fatale.
De belles et grandes villas aménagées dans la roche, protégées par des murs et des grilles électrifiées, profitaient du panorama.

Oli s’arrêta dans un virage, à un endroit où la route s’élargissait suffisamment pour aménager quelques places de parking et d’où on pouvait admirer la vue, protégé par un muret.
A peine les portières ouvertes, le vacarme des vagues rappela à Sayowa des souvenirs douloureux. Elle s’approcha du petit rempart, regarda par dessus pour voir les rochers subir l’assaut incessant de l’ondée, plusieurs dizaines de mètres plus bas. Le vent remontait l’escarpement, la frappait au visage. Elle entendit à peine la voix d’Oli derrière elle.
– C’est par là.
Elle se retourna. Il montrait une jolie maison bleue, posée sur un roc massif à l’intérieur du virage.
Ils traversèrent la route. De là, aux pieds de la muraille minérale, ils ne voyaient plus la maison. Un peu plus loin, une allée montait à travers la roche vers un portail : l’entrée de la résidence.
En suivant cet accès, la villa redevenait visible. On devinait aussi un jardin fourni qui devait avoir une vue impressionnante sur l’océan.
Oli pressa un bouton et attendit.
Pas de réponse, il pressa encore.
Le cœur de Sayowa se mit à battre furieusement. Elle venait de réaliser qu’elle était arrivée à l’aboutissement de son voyage. Là, presque au point le plus au sud de l’Afrique, elle allait accomplir la destiné sur laquelle Inyambo l’avait engagée.
Oli pressait le bouton régulièrement mais rien ne se passait. L’excitation de Sayowa retomba. « Évidement, ça aurait été trop beau », se dit-elle.
– Monsieur Limoni est absent.
Oli et Sayowa se retournèrent. La voix d’un homme, caché dans un gros 4x4 derrière eux, les avait interpellé.
– Bonjour monsieur Van Waarden, vous savez quand il sera de retour ? demanda Oli.
– Il m’a dit qu’il est allé se promener à Table Mountain, donc il reviendra certainement en début d’après midi.
– Merci monsieur. Bonne journée.
– Au revoir.
L’homme disparut avec un rugissement de moteur.
– Tu le connais ? demanda Sayowa.
– C’est le voisin de M. Limoni.
– Ah, d’accord. Et il a dit qu’il est où alors ? Table
– Table Mountain, c’est la montagne la plus haute de Cape Town. Qu’est ce que tu veux faire ? Rentrer ou attendre ici ?
– Ben, c’est loin ça Table Mountain ?
– Pas vraiment, mais c’est très grand. On ne le trouvera sûrement pas là bas. Il vaut mieux revenir plus tard.
– Tu sais, ce n’est pas avec une attitude pareille que je serais ici en ce moment. Allons Oli, un peu de courage.
– J’ai du courage ! Mais…
– He bien prouve le ! En avant pour Table Mountain !
Oli resta interdit alors que Sayowa s’éloignait à grands pas vers la voiture. Elle ouvrit la portière et s’assit, les jambes secouées par l’adrénaline. Le jeune homme la rejoint, prit sa place derrière le volant.
– Alors ? On y va ? dit-elle.
– Tu es sûre ? Parce qu’il va rentrer et…
– Si on ne le trouve pas là bas, il sera toujours temps de revenir.
– Bon, mais je te préviens, Table Mountain c’est grand.
– Tu l’as déjà dit. Roule !
Il roula.

Ils quittèrent le bord de mer pour entrer dans les terres. Sayowa était exaltée par la perspective de cette nouvelle aventure. C’était amusant de provoquer le petit Oli. Elle était bien décidée à le faire sortir de sa coquille.
La route se changea en une avenue encombrée de véhicules. On ne pouvait pas s’y tromper, ils entraient dans Cape Town. Les immeubles de cette métropole étaient à l’image de ses monts : démesurés. Le monde, la circulation, tout était agité. La cité, écrasante. Sayowa s’enfonça dans son siège. Quand on voyait ça, pouvait-on encore appeler Livingstone et Swakopmund des villes ? Ils étaient régulièrement forcés à l’arrêt dans les embouteillages. Les cris des moteurs, le brouhaha urbain devenaient épuisant.
La ville était encerclée de montagnes de formes différentes, l’une d’elles allongée et plate au sommet. Sayowa crut identifier la Montagne de la Table.
Ils quittèrent ce chaos, bifurquant sur une route plus petite qui s’élevait en lacets. Comme ils prenaient de la hauteur, la nature reprenait ses droits. Au détour d’un virage, Sayowa put voir les gratte-ciels, bien moins impressionnants du dessus, avec l’océan en arrière-plan. Cette vision disparut avant qu’elle ne puisse la savourer, puis réapparut à l’épingle suivante et ainsi de suite, les buildings rétrécissant à chaque fois.
Ils arrivèrent à un rond-point où étaient garés de gros bus rouges à deux étages. Oli s’y arrêta aussi, le long d’un rail de sécurité en métal.
Tous deux débarquèrent. Ils étaient aux pieds de cette gigantesque masse que Sayowa avait repéré plus tôt. Ils se penchèrent sur la barrière et toisèrent la ville. D’ici on ne se doutait pas de l’effervescence qui y régnait. On en entendait tout de même les échos, comme un bourdonnement lointain.
– Voilà on y est. Tu veux faire quoi maintenant ?
– Je sais pas, il fait quoi Stefano ici ?
– Il a dut monter au sommet.
– Alors montons !
– Ce n’est pas si simple…
– Si un Italien de soixante-dix ans peut le faire, nous aussi non ? C’est par où ?
Oli, résigné, lui montra quelques bâtiments un peu plus loin.
Ils s’en approchèrent. Là, des gens de tous âges, d’aspects variés, blancs, noirs et autres, formaient une file d’attente devant un petit édifice. D’autres personnes entraient et sortaient de boutiques et de snacks. Sayowa entendait parler toutes les langues.
Soudain, quelque-chose apparut dans les airs. Elle eut un petit mouvement de recul instinctif devant ce gros cube qui flottait lentement, descendant vers le sol.
– N’ai pas peur, c’est le téléphérique, dit Oli.
– Je n’ai pas peur. C’est quoi ça ?
– Ça permet de monter au sommet.
Le cube atteint le sol. Il y avait des gens dedans, visibles au travers de vitres larges sur les côtés. Ils en sortirent par l’arrière, avant que les gens de la file d’attente y pénétrent à leur tour. Après quelques secondes, l’appareil décolla, tracté par un câble qui disparaissait contre la montagne.
– On doit monter là dedans ? demanda Sayowa, peu rassurée.
– Ça coûte cher. Tu as de l’argent ?
– Rien. Alors on ne peut pas monter ?
– On peut à pieds, mais ce n’est pas facile.
– Tu l’as déjà fait ?
– Non mais on m’a dit…
Sayowa s’éloignait déjà par la route qui continuait le long du massif. Elle avait repéré un homme et une femme blanche, en vêtements de sport, athlétiques, chacun portant un petit sac à dos. A coup sûr, ils allaient tenter l’ascension à pieds.
En s’éloignant de l’agitation du téléphérique, les sons de la natures devinrent audibles. Des oiseaux, surexcités, accompagnait la petite fille dans son enthousiasme. Le ronflement lointain de la ville était toujours là.
Au bout de quelques centaines de mètres, les deux sportifs s’arrêtèrent devant un panneau en bois, l’examinèrent attentivement et quittèrent l’asphalte pour un sentier qui se perdait dans des buissons assez hauts.
En levant les yeux vers le flanc de Table Mountain, Sayowa repéra de petits points de couleurs disséminés sur la surface inclinée : des grimpeurs. Il y en avait beaucoup, preuve que l’entreprise n’était pas insurmontable. En se concentrant on pouvait même deviner le tracé du chemin qui menait au sommet, vers une paroi de roche verticale.
Oli la rejoint en traînant les pieds.
– C’est par là, dit Sayowa, désignant l’endroit où l’homme et la femme s’étaient engagés. Tu t’en sens capable Oli ?
– Bien sûr, répondit-il d’une voix assurée.
Sayowa fut surprise de cette soudaine manifestation de confiance. Il passa devant elle et ils s’enfoncèrent dans la végétation.

Le sentier était suffisamment large pour une personne, fait de terre et de pierres plates. Il montait rapidement. Parfois une grosse marche exigeait qu’on lève les genoux assez hauts. Les grandes jambes de Sayowa se révélèrent un atout non négligeable.
Après quelques minutes seulement, elle était à bout de souffle. Elle entendait Oli haleter fort devant elle. Il s’arrêta près d’un minuscule ruisseau qui mouillait la piste dans une courbe. Sayowa le rejoint, posa les mains sur les genoux et expira longuement.
– Alors, tu veux toujours grimper ? dit Oli.
Elle regarda en bas, ils s’étaient déjà bien élevés par rapport à leur point de départ. Elle leva les yeux, le sommet ne semblait pas s’être rapproché d’un centimètre.
Elle se redressa.
– Et comment !
– En avant alors.
Oli reprit la tête. Elle glissa sur un caillou mouillé et se rattrapa à une branche. Il n’avait rien vu.
Sa respiration se régula, les battements de son cœur se calmèrent, elle prit un rythme de marche mesuré, les yeux dans les chaussures de son guide. L’escalade devint une promenade.

La végétation se fit moins foisonnante, des arbustes poussaient toujours mais leur taille se réduisait. De temps en temps, la semelle d’Oli dérapait, quand du sable recouvrait une pierre plate. Elle faisait alors attention quand c’était à son tour de poser son pied.
Ils progressèrent ainsi longtemps. Oli fit une nouvelle pause, à l’ombre d’un petit arbre. Sayowa jugea le chemin parcourut : la route, en bas, était toute petite. Elle vérifia ce qui restait à accomplir. La crête n’avait pas bougée, elle était toujours aussi haute. Comment était-ce possible ?
Oli respirait très fort.
– Ça... va ? dit-il, soufflant entre les deux mots.
– Très bien, dit Sayowa, fièrement.
Les échos urbains avaient complètement disparut. Seuls subsistaient les grésillements de la nature. Cape Town semblait être un modèle réduit, coincée entre les montagnes et l’océan. En fixant l’horizon Sayowa put, pour la première fois de sa vie, voir la courbure de la Terre. Une émotion vive lui prit la gorge.
Oli désigna un sommet conique sur leur gauche, à la bordure de la ville.
– Là, c’est Lion’s Head.
– Quoi ? dit-elle, quittant à contrecœur sa contemplation.
– La montagne là, elle s’appelle Lion’s Head, parce qu’on dirait une tête de lion.
– Comment ça ?
– Si ! Là le museau, là une oreille, la crinière et le corps en bas.
– Je ne vois pas.
– Il faut imaginer qu’il regarde vers le ciel.
Sayowa tourna la tête. Ce qu’elle voyait, c’était un gros caillou pointu.
– Bon on y va ? On a encore du chemin.
Cette fois, elle prit les devants.

Le sentier évolua, devint de plus en plus escarpé, la pente plus raide, elle sentait les muscle de ses jambes se durcir. Ils montaient et le soleil aussi. Ses rayons les frappaient avec force. Ils dépassaient parfois des petits groupes de randonneurs arrêtés à l’ombre. Ils les saluaient, les encourageaient gaiement, demandaient une gorgé d’eau pour se rafraîchir. D’autres fois, ils se faisaient doubler à toute vitesse par des athlètes qui n’avaient pas le temps de discuter.
A plusieurs reprises, ils durent s’aider de leurs mains pour escalader un talus. Les genoux de Sayowa tremblaient irrésistiblement de fatigue. Elle lançait régulièrement de petits coups d’œil à Oli qui semblait souffrir autant qu’elle, voir plus, ses jambes grêles n’étant clairement pas faites pour ce genre d’efforts.
Ils devaient avoir parcourut la moitié du chemin. Sayowa ne savait pas si elle serait capable de terminer.
– Pause ?
– Pause ! dit Oli avec soulagement.
Ils s’écroulèrent à l’abri de quelques feuilles.
– On est à la moitié non ? dit Sayowa.
– Je sais pas, répondit Oli dans un râle.
– Je pense. Regarde, on arrive bientôt à ce mur. Là on sera à l’ombre au moins. Et ensuite on continue entre ces deux falaises, jusqu’en haut.
Oli suivit des yeux l’itinéraire décrit par sa partenaire.
– Ça a l’air encore plus raide que ce qu’on a fait. Si on est à la moitié il est encore temps de…
– Ah non ! Il est encore temps de terminer, j’espère que c’est ce que tu allais dire.
– Quand on sera en haut il faudra encore tout redescendre.
– Ça ce sera facile. Et puis tu pourras dire à Emma : « je l’ai fait ! j’ai conquis Table Mountain ! »
L’évocation d’Emma secoua Oli. Il fit quelques mouvements de têtes, comme s’il se motivait intérieurement.
– Oui. Oui, tu as raison. Ce n’est pas le moment d’abandonner, alors qu’on est chauds !
– Voilà ! Mais bon, là on se repose un peu quand même, non ?
– Oui, oui.
Cape Town était devenue minuscule, dérisoire. Ils étaient tous les deux des géants capables de l’écraser entre leurs doigts.
Sayowa repensa à son départ du village, quelques jours plus tôt : elle avait froid et peur, elle quittait son île pour la première fois. Aujourd’hui, elle était sur le toit du monde. Enfin pas tout à fait. Et comme l’avait fait remarquer Oli, ce qui restait à parcourir semblait encore plus difficile que ce qu’ils avaient déjà franchi.

Quand ils se levèrent leurs muscles refroidis se plaignirent, mais ils n’écoutèrent que leur volonté et poursuivirent la randonné. L’esprit prit l’ascendant sur le corps. Ils ne se préoccupaient plus de leur environnement, concentrés sur chaque pas.
Ils arrivèrent à l’ombre d’une grande muraille rocheuse dressée verticalement devant eux. A partir d’ici, c’était tout droit jusqu’au sommet, dans une gorge qui se rétrécissait progressivement.
Ils s’assirent un moment sur un rocher, heureux d’avoir échappé aux rayons du soleil, puis repartirent, Oli devant. Leur progression était maintenant plus de l’escalade que de la marche. Il fallait se servir des pieds, des mains, des genoux. Mais la conclusion était en vue, se rapprochait rapidement.
Enfin, Oli grimpa sur une grosse pierre blanche. Il resta debout, deux mètre au dessus de Sayowa.
– On y est ! cria-t-il.
– Tu y es, rectifia-t-elle. Laisse-moi passer !
Il s’écarta. Sayowa attrapa une prise des deux mains, posa son pied sur une petite marche, souleva son corps, posa son autre pieds, trouva une autre marche, se hissa, tira avec ses bras, se redressa. Elle découvrit la Table de la montagne : un plan presque parfait, une étendu de rochers plats à perte de vue, d’entre lesquels dépassaient quelques arbustes.
Le sentier continuait horizontalement sur la droite. Ils marchèrent sans efforts jusqu’à rejoindre une promenade bétonné qui longeait l’arrête. Arrivés au bord du précipice, la vue était incroyable. Ils surplombaient le flanc qu’ils venaient de franchir. Ils pouvaient, des yeux, refaire le chemin en entier, revoir chaque passages, chaque arbre. La ville était plus petite que jamais, la mer se confondait avec le ciel. De grands oiseaux planaient tranquillement dans les airs, trouvant sûrement absurde la quantité d’efforts que les simples humains devaient développer pour venir à bout de cette montagne.
Oli et Sayowa s’assirent, les pieds dans le vide, comme elle l’avait fait avec le pêcheur au bord des chutes Mosi-oa-Tunya, il y avait une éternité. Ils savouraient en silence l’exploit accompli.


Ils parcoururent ensuite la promenade qui faisait le tour du plateau jusqu’à un espace aménagé : des plateformes en bois, des bancs, un restaurant, bondé de monde, des enfants, des vieillards, toute une population qu’ils n’avaient pas rencontré pendent leur ascension.
« Ils ont prit le téléphérique », expliqua Oli.
En effet, la nacelle apparaissait et disparaissait de la pointe de la Table, renouvelant régulièrement le flot de visiteurs.
Ils s’affalèrent sur un banc, observant un groupe de jeunes filles anglaises agitées, prendre des photos par dessus une plateforme.
Il était facile de reconnaître ceux qui étaient montés à pieds et ceux qui étaient montés mécaniquement. Les sportifs étaient auréolés de sueur, la peau bariolée de coups de soleil, la mine épuisée. Les autres se promenaient sereinement, profitant de la brise fraîche et du panorama.
Oli désigna un petit homme qui marchait tranquillement, un peu à l’écart de la foule, semblant regarder distraitement au loin.
– Tiens, voila monsieur Stefano.

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Texte extrait de « Recette de pizza pour débutant » © (SACD) Thomas Botte

Thomas Botte