Chapitre 14 – Épilogue : La pizza

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Le lendemain, le principal et la maîtresse de Sayowa furent prévenus de son retour. On fit aussi envoyer la nouvelle à l’intervenante qui était venue à l’école le vendredi précédent (la dame blonde).
Mutondo n’avait presque manifesté aucune émotion en retrouvant sa sœur, mais ne l’avait pas quitté de la soirée ni de la matinée suivante.
Inyambo et Stefano, le grand et le petit, assis sous l’arbre de la cour de la maison ronde, se comportaient comme si la discussion de la veille n’avait pas eu lieu. Ils bavardaient comme deux adolescents, faisant fuser les réflexions volontairement stupides et les inside jokes.
Sayowa, en tailleur parterre, les écoutaient, riait à leurs blagues.
– Bon, on la fait cette pizza ou quoi, dit Stefano.
– Vous avez tout ce qu’il vous faut ? demanda Inyambo.
– On va essayer ! Voyons, par quoi il faut commencer ? Déjà, Sayowa, tu peux aller mettre l’origan à sécher.
– Le quoi ?
– La branche que je t’ai donné hier, avec les petites feuilles qui sentent bon.
Sayowa alla chercher son chitenge dans sa maison, revint et montra la petite branche à Stefano.
– Celle-là ?
– Oui voila. Tu me la pends la tête en bas, bien au sec. On s’en occupera au dernier moment.
– Mais c’est quoi ? C’est pas sur la liste.
– Surprise, allez va.
Sayowa trouva un bout de ficelle, accrocha la brindille à une poutre de la maison d’Inyambo, retourna prendre ses instructions auprès du chef italien.
– Ensuite, il nous faut de la farine. Épluche ton chitenge et fait-nous une belle poudre avec ce blé.
Sayowa alla chercher un gros pilon en bois et un balais, nettoya la dalle en béton de la cour, y plaça les graines. Avec de grands gestes réguliers et précis, elle pila, chantant pour se donner le rythme.
Stefano voulut essayer. Il prit le bâton et l’abattit maladroitement en essayant d’imiter le chant de Sayowa, faisant s’esclaffer l’assemblée.
La farine prête, elle la rangea vivement dans un sachet pour ne pas la perdre.
– Mets-en un peu dans un bol, on va tenter de faire du levain. Ça, j’en ai jamais fait, alors je ne garantis rien.
Stefano mélangea un peu de farine avec de l’eau et touilla paresseusement.
– On laisse à l’air libre et on attend jusqu’à demain, voir si ça donne quelque chose. Qu’est ce qu’il faut faire après ?
– C’est toi l’expert, signala Inyambo.
– Essayons la mozzarella. J’ai déjà vu ma grand-mère la faire quand j’étais petit.
– Tu l’es toujours !
– Tais-toi. Quand j’étais enfant donc. C’est dire si c’est une recette à l’ancienne. Pour commencer, il nous faut du lait.
– Mutondo, c’est ton domaine.
Le jeune homme s’absenta quelques minutes et revint avec un sceau en métal repli d’un fond de lait frais.
– On fait quoi ensuite chef ?
Le ton d’Inyambo se voulait moqueur.
– Il faut le faire cailler. Pour ça, j’ai un ingrédient secret. Sayowa, la deuxième branche s’il te plait !
Sayowa la leva en l’air, à bout de bras.
– Des feuilles de figuier, expliqua Stefano. C’est pour ajouter de l’acidité. On met dedans, on couvre, on laisse jusqu’à demain et on croise les doigts.

A midi ils partagèrent un plat de pap accompagné d’épinards.
– Est ce qu’il y a des jours ou vous mangez autre chose ? demanda Stefano.
– Des fois, répondit Inyambo.

L’après-midi, ils sauvèrent les quelques tomates extrêmement mûres restant dans les cultures de Mutondo. Ils les firent cuire pour en faire de la purée.

Le soir, ils veillèrent tard. Les deux vieux partageaient des anecdotes sur leur passé, les deux jeunes écoutaient.
Alors qu’il racontait comment ils s’étaient un jour fait chargés par un rhinocéros, Stefano s’écria soudain :
– Merde, mes citrons ! Ils doivent cramer dans la voiture !
Ils passèrent le reste de la nuit à contempler les étoiles, s’affrontant pour savoir qui pouvait nommer le plus de constellations, jusqu’à inventer des noms saugrenus.

Le dimanche matin, Sayowa ôta la couverture du sceau de lait et constata qu’il commençait à coaguler.
– Très bien ça, commenta Stefano.
Il laissa le récipient au soleil, à l’air libre « pour faire sécher ».

A midi il en récupéra la substance pâteuse, sous le regard dégoutté de ses hôtes, la découpa en petits morceaux qu’il laissa à reposer sur une planche en bois.
Plus tard, ils surveillèrent la tentative de levain. Le liquide était légèrement mousseux, agité de petites bulles.
– Je sais pas ce que ça va donner, mais on va faire la pâte. Tu regardes bien Sayowa hein ? 
Dans une jatte, il mélangea la farine et le semblant de levure, ajouta un filet d’huile d’olive, un peu de sel qu’il effrita directement du cristal de la côte. Il demanda à Sayowa de l’aider à verser de l’eau, progressivement, pendant qu’il malaxait le tout jusqu’à être capable de former un boule ferme. Il couvrit alors le récipient d’un chiffon.
– Maintenant on attend et on espère que ça lève.
– Ça prend toujours aussi longtemps que ça de faire une pizza ? dit Sayowa.
– Pourquoi tu es pressée ? Bon d’habitude on a de la mozzarella et de la levure toute faite. Mais on rigole non ?
Elle reconnut qu’elle passait un bon moment.
– En parlant de mozzarella, il faut qu’on s’en occupe.
Ils retournèrent à leurs morceaux de lait caillé. Il les plongea dans de l’eau bouillante, les rendant compacts et élastiques.
– Ouh, ça m’a l’air pas trop mal tout ça.
Il les étira en long rubans qu’il replongea dans l’eau chaude plusieurs fois, puis en fit des sphéroïdes qu’il passa dans de l’eau froide et salée.
Il présenta le résultat : de petits monticules dégoulinants, à peine solides.
– C’est prêt ! C’est pas parfait mais bon, on va la faire cuire de toutes façons, donc on devrait survivre.

Comme le soir arrivait, Mutondo alluma un feu sous le four en pierre qu’il avait emprunté à un voisin pour l’occasion.
Stefano demanda à Sayowa d’aller chercher l’origan et le mit sur une pierre au dessus du feu.
– Et maintenant mes amis, la magie de la cuisine italienne ! Nous allons faire la pizza ! Allez me chercher une plaque de cuisson. Et il reste un peu de farine ?
– Ben non, on a tout mit dans la pâte. De la farine de maïs ça va ?
– Pourquoi pas. C’est juste pour pas que ça accroche. Voyons notre pâte.
Elle semblait avoir un peu gonflé.
– Bel effort. On saupoudre la plaque de farine (de maïs), on étale notre magnifique pâte.
A l’aide d’un rouleau, il forma un ovale fin, presque parfait, l’aspergea consciencieusement et abondamment d’huile d’olive, continua avec une couche de purée de tomate, découpa la pseudo-mozzarella en rondelles, créant la dernière strate de la pizza. 
Au moment d’enfourner, il effrita les feuilles d’origan séchées à sa surface.

Après un quart d’heure de cuisson, ils récupérèrent la galette. Sayowa la découpa en quatre et chacun reçu sa part.
Ils mangèrent en silence, soufflant pour refroidir le fromage brûlant. Ils s’observaient les uns les autres en mastiquant. L’Italien mit fin à leur mutisme :
– Bon, c’est pas ma plus grande réussite, mais en considérant les conditions dans lesquelles on a fait ça, c’est pas trop mauvais non ?
– C’est délicieux, dit Sayowa plus par politesse que par conviction. Merci Stefano !
– Et merci Sayowa d’avoir ramené les ingrédients et le chef, compléta Inyambo.

Le repas terminé, ils s’assirent en cercle autour du feu, Sayowa et Inyambo sur le tronc d’arbre, Stefano sur une chaise de camping, Mutondo parterre.
– C’est tout ce qu’il y a à manger ? demanda le jeune homme.
Inyambo eut un rire fort.
– Il doit rester du pap au frigo.
– C’est vrai que c’était pas mauvais, mais un quart de pizza ça nourrit pas un homme, dit Stefano.
Ils se dirigèrent tous les deux dans la maison pour terminer leur repas, laissant le grand-père et la petite-fille seuls.
La grande main se posa tendrement sur la petite épaule. Les yeux en amande se levèrent vers le visage ridé. Ils se contemplèrent un moment.
– Tu ne diras pas à ta maman ce qui s’est passé hein ?
Sayowa rit, du même rire qu’Inyambo.
– Enfin pas avant quelques années en tout cas, si non elle me tue, continua-t-il.
Elle posa sa tête contre son épaule.
– J’espère que tu ne m’en veux pas Sayowa. Je voulais que tu vois que le monde est plus grand, plus beau et plus complexe que ce qu’on te montrera tout au long de ta vie. Je sais pas si je m’explique bien.
Sayowa regardait les flammes danser.
– Je comprends Kuku. Je comprends.

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Et enfin...

Texte extrait de « Recette de pizza pour débutant » © (SACD) Thomas Botte

Thomas Botte